Rythmer le chaos, 6 juin

Rythmer le chaos : Composition, circulation et collecte des chansons et poèmes des ghettos et des camps nazis

Journée d’Études organisée par l’EHESS (CRAL – « Centre de recherches sur les arts et le langage » et PREMEC – « Premiers modes d’écriture de la Shoah ») et le LabEx EHNE (« Écrire une Histoire nouvelle de l’Europe »)

Responsable scientifique : Élise Petit, LabEx EHNE
Comité scientifique : Judith Lyon-Caen, Malena Chinski, Aurélia Kalisky, Esteban Buch

Jeudi 6 Juin 2019 – EHESS, salle Lombard 96 bd Raspail, 75006 Paris 9h30-17h

La création artistique des Juifs persécutés pendant la Shoah et des victimes des camps de concentration et des centres de mise à mort nazis fait depuis plusieurs années l’objet de publications et d’événements réguliers qui interrogent tous, d’une manière ou d’une autre, les enjeux tant esthétiques que culturels, anthropologiques et psychologiques de processus créatifs dans des situations extrêmes. Si les arts graphiques ont donné lieu à de nombreuses publications, notamment à l’occasion d’expositions organisées par des mémoriaux et musées, la musique et la poésie ont été moins étudiées dans la sphère francophone. La parution très récente d’un ouvrage collectif consacré au Verfügbar aux Enfers de Germaine Tillion vient enrichir une bibliographie encore restreinte sur le sujet.

Déjà pendant le génocide, certains chercheurs et intellectuels juifs enfermés dans les ghettos commencèrent à collecter des poèmes et des chansons, en particulier dans le cadre des projets d’archives nés dans les ghettos de Vilnius et de Varsovie. Historiens, chercheurs en littérature, intellectuels et écrivains comprirent qu’il s’agissait là d’une manifestation singulière de la culture et de la vie juives, et qu’il fallait la documenter, notamment dans la tradition ethnographique initiée dans l’entre-deux guerres par le YIVO. Après la guerre, de véritables collectes de partitions ou de poèmes ont été entreprises très tôt par des survivants de camps ou de ghettos, principalement Shmerke Kaczerginski, survivant du ghetto de Vilnius, Aleksander Kulisiewicz, survivant du camp de Sachsenhausen et plus généralement dans le cadre des commissions historiques créées après la guerre en Europe.

L’objet de cette journée d’études est d’éclairer les stratégies de survie intellectuelle et spirituelle que révèle le vaste corpus de poèmes et de chansons produits et souvent mis en circulation dans et à travers les frontières des ghettos et des camps. Au cours de cette journée, c’est le répertoire clandestin qui sera étudié. La forme versifiée semble y avoir été privilégiée par un grand nombre de victimes : obéissant à un besoin vital de saisir l’expérience d’une réalité inouïe, la forme poétique – sous forme de poème ou de chanson – servait à ordonnancer le chaos, à la soumettre à la versification et à un rythme porteur de sens. S’intéressant aux entreprises de collecte effectuées pendant et juste après la guerre, cette journée pluridisciplinaire abordera également la question de la création artistique dans les « camps de déplacés » des années 1945 à 1949.

Elle se clôturera par une table-ronde et une présentation de l’ouvrage Chanter, rire et résister à Ravensbrück : Autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux Enfers, paru récemment au Seuil, en présence d’une partie de l’équipe de direction scientifique, membre du groupe de recherches « Mémoire musicale et résistance dans les camps » de l’Université de Montréal.

Programme

Matin (9h30-12h30)
9h30 Élise Petit, Aurélia Kalisky, Esteban Buch, Accueil des participants et présentation de la journée

10h Aurélia Kalisky, Zentrum für Literatur- und Kulturforschung, Berlin, « “La poésie témoigne de nousˮ. Forme, rythme et figure comme principes de survie »

10h45 Claude Mouchard, « “Si étroite la durée du jourˮ (1941) – en relisant Avrom Sutzkever » 11h30 Élise Petit, « Aleksander Kulisiewicz, troubadour et collecteur »

Après-midi (14h-17h)
14h Malena Chinski, « Corpus de chansons et outils d’analyse de Nachman Blumental dans Conférences sur la littérature yiddish sous l’occupation nazie (1966) »

14h45 Nathalie Cau, « Le répertoire en yiddish dans le théâtre des “camps de déplacésˮ, 1945- 1949 »

15h30 Présentation et discussion autour de l’ouvrage Chanter, rire et résister à Ravensbrück : Autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux Enfers. Avec Philippe Despoix (Montréal), Cécile Quesney, Nelly Forget, Claude Mouchard, Esteban Buch et Élise Petit.

Présentation des auteurs : Les laboratoires de l’horreur et de la mort industrielle que furent les camps nazis ont paradoxalement aussi été des lieux de création. dans des conditions extrêmes, presque toujours clandestine et souvent le fait de simples amateurs pour qui elle constituait une ultime planche de liberté – ou de résistance.

Ce fut le cas dans le camp pour femmes de Ravensbrück avec Le Verfügbar aux Enfers, pièce écrite fin 1944 par l’ethnologue Germaine Tillion (1907-2008) avec l’aide de ses compagnes résistantes déportées.

Œuvre de survie collective, cette « opérette-revue » sans partition qui détourne avec humour un répertoire varié d’airs populaires éclaire de manière exemplaire les relations complexes entre mémoire musicale, création et résistance dans les camps.

Dans sa préface, Esteban Buch écrit qu’« il revenait à une femme, Germaine Tillion, de contribuer au travail de mémoire collectif en faisant entendre aussi la musique du rire, éternellement libre, surgissant du fond sonore des enfers ».