Programme du DIU ArTeC+ année 2023-24
Aliénations expérimentales
Pour l’année 2023-2024, le DIU ArTeC+ proposera à ses participant·es de réfléchir ensemble sur les entrecroisements épistémologiques, anthropologiques, esthétiques et politiques entre les processus d’aliénation et d’expérimentation.
L’aliénation a été pathologisée par les psychiatres du XIXe siècle, qui ont tenté de la circonscrire dans des catégories cliniques et des asiles d’enfermement en créant parfois d’étranges dispositifs de prises de vue. Elle n’a pas eu bonne presse auprès des philosophies politiques du XXe siècle, qui carburaient à la critique et à l’émancipation. Elle nous semble mériter d’être reconsidérée à la lumière des transformations scientifiques, technologiques, sociales et politiques qui marquent le XXIe siècle, en un moment historique où la « raison » et le « développement » (économiques) s’avèrent relever de la folie (écocidaire), où l’émancipation individualiste se confond de plus en plus avec le délire libertarien, et où la critique n’en finit pas de se mordre la queue. Face à ces impasses, nous proposons d’explorer une hypothèse de travail : et si faire la part (incompressible quoique variable) de nos aliénations était une précondition nécessaire tout autant qu’un horizon désirable de toute pensée et de toute pratique artistique en prise sur notre époque ?
Nous proposerons des lectures communes aidant à comprendre en quoi toute forme de socialisation relève de l’aliénation, au sens où chacun·e de nous est nécessairement envoûté·e par nos actions et fictions communes. Nous tenterons de comprendre comme les technologies numériques accélèrent et redimensionnent nos ensorcellements mutuels (profondément inégaux), au point d’inviter à lire les IA comme des « Intelligences d’Aliénations ». Nous essaierons de comprendre les propriétés terraformatrices des multiples formes d’emprises par lesquelles nous nous entre-aliénons. Au lieu de combattre l’aliénation, nous chercherons à comprendre comment mieux choisir nos aliénations – et comment les rendre désirables sous horizon d’hyperaliénation.
Nous espérons donc mettre en partage des formes de pratiques (artistiques, activistes, somatiques, psychiques) visant à expérimenter avec nos aliénations, plutôt qu’à nous résoudre (et nous lamenter) à les subir. Cette année aussi, le DIU prendra la forme d’ateliers au sein desquels les participant·es (artistes et chercheur·euses en sciences humaines et sociales) entre-polliniseront leurs investigations personnelles pour les altérer, les reconfigurer, les hybrider – les aliéner – au sein de réflexions et de productions communes.
Nous proposerons de considérer l’expérimentation elle-même comme une forme d’aliénation : en expérimentant, je sors de moi-même (et de mes certitudes) pour m’exposer à une altérité possible et souhaitée, à une surprise qui menace de saper mon savoir-pouvoir et mon identité, à un emportement qui risque de m’emmener où je ne sais-veux pas aller. L’acceptation de ce risque, avec l’incertitude et l’humilité qui l’accompagnent, nous semble indispensable pour faire face au moment actuel. L’expérimentation avec nos aliénations nous semble en effet être devenue une arme des activismes réactionnaires, qui ont parfaitement compris tout le profit qu’ils pouvaient en tirer. Une attitude expérimentale progressiste envers nos aliénations nous semble à revaloriser dans le contexte présent, et les pratiques de recherche-création nous paraissent avoir un rôle majeur à jouer dans nos modes à venir de co-habitation.
Le DIU ArTeC+ 2023-2024 sera animé cette année encore par Grégory Chatonsky et Yves Citton, avec la collaboration d’Emmanuel Grimaud, et la participation de nombreux·ses invité·es extérieur·es.