Art et Anarchisme – Séminaire 2023-2024

Art et Anarchisme – Séminaire 2023-2024

- 21 novembre 2023 -

Alors que la pensée anarchiste traverse l’art moderne tout au long de son histoire (y compris contemporaine) et, ce, sur les différents points du globe où les deux ont été mis à l’épreuve, l’apport théorique et militant du mouvement libertaire demeure très insuffisamment mis à jour. Le jeu d’influences réciproques entre les deux demeure encore à excaver. Étant donné l’ampleur du sujet, défiant toute prétention d’en couvrir la totalité, nous avons décidé de le circonscrire de deux manières, méthodologique et spéculative. 

  1. Méthodologique, en favorisant l’exploration de quelques scènes singulières (chacune délimitée d’un point de vue historico-géographique) plutôt que de viser un repérage exhaustif de tous les protagonistes comme de tous les moments de rencontres entre les pratiques artistiques depuis le milieu du XIXe siècle et les courants anarchistes. Procéder ainsi est d’une part à la taille de notre séminaire, et d’autre part devrait nous permettre, du moins telle est notre tentative, de dresser une cartographie, certes lacunaire, mais suffisamment significative pour être possiblement représentative de la complexité de cette histoire (tant dans ses différentes inflexions théoriques que dans la variété des médiums et des pratiques dans lesquels elle s’est incarnée).
  1. Afin d’éviter l’écueil d’une thématique, nous avons également circonscrit spéculativement ce séminaire afin de construire une problématique sur laquelle nous invitons les intervenantes et intervenants à se pencher. Cette problématique peut être formuler ainsi : « Y a-t-il eu, et si oui de quelle manière, de la part des artistes et des collectifs se réclamant de l’anarchie, des tentatives de traduire leurs positionnements politiques dans leurs pratiques, leurs formes et leurs postures ? ».  Sous ce titre « art et anarchisme » nous reposons la question de l’articulation complexe entre politique et esthétique, dont les réponses sont souvent spécifiques et jamais tout à fait assurées. Il ne saurait y avoir une seule réponse à cette question. De même qu’il existe de nombreux anarchismes (loin d’être intégralement compatibles entre eux), l’histoire de l’art moderne et contemporain est celle d’une myriade de styles et de pratiques hétéroclites se confrontant les unes aux autres. De fait, la pensée anarchiste ressurgit dans des scènes, des médiums et des formes diverses. Ce qui tend à laisser penser qu’il existe une affinité profonde entre anarchisme et art moderne (l’absence de fondement, de commandement, de dogme ; la destruction des systèmes hiérarchiques ; la volonté de transformer les formes de vie comme celles de l’organisation sociale ; le désir de projeter l’art dans le non-art et le pouvoir dans le non-pouvoir, etc.). S’il on dispose déjà, de par le travail de nombreux universitaires, d’un bon repérage des mouvements et artistes ayant fait part de leur inclination anarchiste, la question de la traduction plastique qu’ils en ont donné n’a pas encore faire l’objet de l’exploration qu’elle mérite. Et cette question est d’autant plus épineuse que les différentes scènes comme les différents protagonistes nous confrontent à un panorama divers et contradictoire de manifestations esthétiques. 

Chaque scène étudiée, parfois autour de la figure d’une ou d’un protagoniste, sera ainsi l’occasion d’interroger la manière dont l’activité artistique est soucieuse de se réfléchir dans une perspective anarchiste. 

Programme :

Jeudi 23 novembre 2023, 18h30

Esthétique de la révolte, action directe et pratiques artistiques guérilléristes au Japon

Alexandre Taalba

 
KUROHATA クロハタ, Parade mémorielle pour Yui Chūnoshin (Ko Yui Chūnoshin tsuiō kokumin gi『故由比忠之進追悼国民儀』), action, 1er décembre 1967, photographie : HIRATA Minoru 平田実 © HM Archive, amanaTIGP

L’histoire du mouvement ouvrier, des idées libertaires et expériences révolutionnaires au Japon ne peut se concevoir sans un volet esthétique. Cette intervention tâchera de mettre en lumière les passerelles entre pratiques politiques et artistiques anarchistes au Japon du début du XXème siècle à nos jours. Une attention particulière sera portée aux années 1960, décennie au cours de laquelle foisonnent les mouvements de révolte guérillériste. Tandis que plusieurs artistes accompagnent ces mouvements, certaines pratiques relèvent davantage d’une guérilla artistique comme métaphore de la révolte. Il s’agira d’interroger les phénomènes de transposition au cœur des pratiques anarchistes japonaises, des modes d’action politique aux médiums artistiques.

Biographie

Alexandre Taalba est doctorant en esthétique à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. Il a mené des recherches au sein du département d’Etudes culturelles interdisciplinaires de l’Université de Tōkyō (section Culture et Représentation). Ses travaux portent principalement sur l’esthétique de l’âge atomique, le rôle de l’art dans les mouvements anti-nucléaires et les pratiques artistiques socialistes et libertaires, au Japon notamment.

 

Jeudi 25 janvier 2024, 18h30

Chaosmos : l’anarchisme analogique d’Asger Jorn

Maria Stavrinaki

 
Asger Jorn, Chaosmos, 1961, huile sur toile, 92 x 73 cm © Secher Fine Art & Design, Copenhague

L’univers idéologique d’Asger Jorn est composé d’un nombre de concepts-nomades à fort potentiel métaphorologique. L’anarchie en fait partie : sa fonction est formelle, politique, historique et épistémologique. Changeant souvent tant de statut que de valeur, l’anarchie devient tantôt un régime social propre à un âge, tantôt une ontologie propre à un peuple et tantôt une composante d’un régime idéal total propre à tous. Dans cette intervention, j’essaierai d’esquisser le système mouvant de Jorn sur fond d’un âge où « l’universalisme » politique, esthétique et épistémologique devient l’objet de bien de batailles.  

Biographie

Maria Stavrinaki est Professeure associée à l’Université de Lausanne (Faculté des Lettres, Histoire de l’art contemporain). Elle s’intéresse aux croisements de l’art moderne et contemporain avec les sciences humaines et sociales et la pensée politique, en abordant surtout des questions relatives au temps et à l’histoire. Dans quelle mesure et de quelles façons les récits normatifs sur la modernité peuvent-ils être pensés à nouveaux frais ? Sa recherche la plus récente a donné Saisis par la préhistoire. Enquête sur l’art et le temps des modernes (Dijon, 2019, traduction en anglais chez Zone Books en 2022) et la codirection de l’exposition Préhistoire. Une énigme moderne (Centre Pompidou, 2019). Actuellement, elle travaille sur l’art, l’historicité et les épistémologies des années 1950-1970 et codirige, avec Julia Garimorth, une exposition sur l’art à l’âge atomique au Musée d’art moderne de Paris (2024).

 

Jeudi 28 mars 2023, 18h30

I wanna be Anarchy. And I wanna be Anarchy. Oh what a name!

Tancrède Ramonet


Sid Vicious, Johnny Rotten and Steve Jones des Sex Pistols, 1977 © Photographie : Elisa Leonelli/Shutterstock

1977 : coup de tonnerre dans le ciel encore psyché de l’industrie musicale. Des jeunes aux cheveux peroxydés viennent de se saisir de guitares et poussent leurs chansons comme d’autres avant eux posaient des bombes. Qui sont-ils, eux, qui chantent l’anarchie et exigent la destruction de tous les pouvoirs ? Ils s’appellent les Sex Pistols. Leur jeunesse arrogante et leur beauté magnétique fascinent bien sûr aussitôt les caméras. Mais, dès le début, on s’interroge sur l’authenticité de leur engagement et sur la réalité de leurs motivations révolutionnaires. L’anarchisme de ces rockers qui ne lisent pas Bakounine et semblent plus s’intéresser à la volupté de la destruction qu’à la passion créatrice ne serait-il pas que de façade ? Eux qui critiquent la société du spectacle, n’en seraient-ils pas plutôt les purs produits ? Marketing, escroquerie ou révolution, qu’est-ce que le punk ? Alors que, même dans le mouvement anarchiste organisé, on se défie de cette mode qui fait à nouveau rimer l’anarchisme avec le désordre et le chaos, certains révolutionnaires n’en voient pas moins dans la révolte sincère et totale des punks la possibilité d’un renouvellement du mouvement libertaire.

Biographie

Tancrède Ramonet est auteur de documentaires et producteur audiovisuel. Diplômé en Philosophie (Sorbonne), Management (Paris-Dauphine), Création documentaire (La Havane) et Production internationale (EURODOC), il a fondé la société indépendante de production audiovisuelle de documentaires et de fictions Temps noir en 2002. Il produit des films autour de problématiques sociales, historiques, artistiques et culturelles. Parmi ses productions les plus récentes, on compte Gérard Philipe, le dernier hiver du Cid, d’après le roman de Jérôme Garcin (Présentation spéciale à Cannes Classic, 2022), Les Fantômes de la colonisation (France télévisions), Cuba, la Révolution et le monde (Coproduction Arte/BBC), La Diplomatie du vaccin (Arte), Le Rêve pavillonnaire, les dessous d’un modèle (France 5) et un premier long-métrage : Le Tigre et le Président (Dibona Films, Temps noir, Pan-Européenne, 2022). Également réalisateur, en 2022, il achève les deux derniers volets de la quadrilogie Ni Dieu Ni Maître, une histoire de l’anarchisme. Il signe aussi plusieurs podcasts avec sa complice Ovidie, parmi lesquels Vivre sans sexualité, la Dialectique du calbute sale ou Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour. Tancrède Ramonet a obtenu nationalement et internationalement de nombreux prix parmi lesquels : Prix du meilleur scénariste au Rendez-vous de l’histoire de Blois, Prix du meilleur jeune producteur français et Prix du meilleur producteur français décerné par la Procirep, Prix du meilleur réalisateur au History film festival.

 

Jeudi 23 mai 2024, 18h30

Catherine Malabou (en attente)

20 juin 2024, 18h30

Judson Dance Group et Grand Union

Entre déhiérarchisation et consensus : un anarchisme improvisé ?

Julie Pellegrin

 
Reprise de Huddle de Simone Forti_workshop Camping CND, juin 2022 Julie Pellegrin

 Il est temps à nouveau de s’essayer à l’anarchie (Steve Paxton)

Dans les années 1960 et 1970 à New York, deux collectifs d’artistes et de chorégraphes révolutionnent les champs artistiques à travers des séries de workshops et de performances. Incorporant mouvements quotidiens, spontanéité et méthodes de composition non conventionnelles, ils seront considérés comme fondateurs de la danse postmoderne. Comment ces expériences se traduisent-elles par un rejet des hiérarchies sociales, corporelles et techniques ? L’action peut-elle être détachée de principes organisateurs supérieurs ? Que se produit-t-il dans un groupe quand personne ne peut savoir à l’avance ce qu’il va se passer ? Cet anarchisme en œuvre est-il réellement « accidentel », comme l’affirme la critique Wendy Perron dans son ouvrage de 2020, The Grand Union – Accidental Anarchists of Downtown Dance ?

Biographie

Julie Pellegrin est une curatrice et critique d’art basée à Paris. Elle s’intéresse à la performativité et aux pratiques qui abordent des questions sociales, politiques et éthiques. Au cours des vingt dernières années, elle a exploré la manière dont les relations entre les arts visuels, la chorégraphie et la théâtralité affectent l’écriture d’expositions. Elle a été directrice du Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson (2007-2020), directrice artistique de Nuit Blanche Paris (2013) et pensionnaire à l’Académie de France à Rome-Villa Médicis (2021-22). Elle travaille actuellement sur un livre explorant les politiques de la performance dans l’art contemporain (Non-Performance : pratiques artistiques et stratégies de refus, T&P Publishing, 2024) et mène des recherches sur les liens entre pratiques performatives et théories anarchistes.