Ce projet a pour objectif de penser la place de l’image photo-filmique dans la revendication et la promotion d’une « contre-histoire », notion qui suppose elle-même d’élucider ses rapports à l’histoire populaire, à la micro-histoire ou encore à la démarche dite de « réinformation ». Le projet examinera en particulier le procédé qui consiste à réinterpréter les images photographiques ou filmiques à partir de leurs détails ou de leurs marges, pour en faire apparaître un sens nouveau, possiblement à rebours du premier sens reçu.
Cette démarche repose sur l’écart qui sépare l’intentionnalité d’une prise de vue et la saisie non-intentionnelle d’éléments susceptibles de prendre sens ultérieurement : elle révèle un lien essentiel entre une méthode (indiciaire) et un enjeu politique (déjouer les intentions du pouvoir dans la captation et la transmission de l’événement), entre la recherche du détail comme trace et la possibilité, selon le mot de Walter Benjamin, d’« écrire l’histoire à rebrousse-poil ». Cette dimension politique est centrale chez les historiens qui ont entrepris à partir des années 1970 de revaloriser le cinéma comme matériau historiographique et de faire du film l’instrument d’une « contre-analyse de la société », voire d’une « contre-histoire » (Marc Ferro).
Mais ce recours à l’image est aussi devenu caractéristique des phénomènes conspirationnistes contemporains, qui se nourrissent de la critique des médias et revendiquent les valeurs de la modernité. La reprise sur Internet de photographies ou de séquences filmées pour y déceler les « preuves » d’un complot et en renverser le sens premier est désormais un des modes d’argumentation et de diffusion privilégiés des interprétations complotistes. La proximité apparente de ces usages avec les pratiques historiennes et scientifiques pose ainsi la question du rôle de l’image photo-filmique dans l’historiographie et de la valeur de ses usages indiciaires dans le contexte médiatique contemporain, marqué par de nouvelles modalités de fabrication, de circulation et de réception des images via le numérique et les nouvelles technologies.
À la croisée d’enjeux politiques, épistémologiques, technologiques et médiatiques, ce projet appelle donc à faire collaborer chercheurs, journalistes, archivistes, ingénieurs et artistes. Il est amené à se développer sur trois années, chacune se concentrant sur l’un des trois axes de recherche: un axe technologique et médiatique qui, de la naissance des actualités filmées aux circulations virales et anonymes d’aujourd’hui, portera sur les modalités de production, circulation et authentification des images ; un axe épistémologique qui étudiera le devenir historiographique des archives photo-filmiques ; un axe politique enfin qui interrogera spécifiquement la puissance l’image photo-filmique en comparant ses usages contestataires.