21/01/2026
université Paris 8 Salle A1-181
10h - 13h (ouvert au public) // 14h - 18h (réservé aux étudiant.es)
Le cinéma contemporain interroge le monde est un module innovant pédagogique (MIP) organisé par Céline Gailleurd et Eugénie Zvonkine (Paris 8), ouvert aux étudiant·es du master cinéma parcours Réalisation et création de Paris 8 et du master ArTeC. Cette année, les étudiant·es et enseignantes recevront le 21 janvier, Jocelyn Robertn monteur son mixeur à l’université Paris 8.
D’aussi loin que je me souvienne, mes souvenirs sont sonores.
J’ai encore gravés dans ma mémoire les sons de la guitare de mon père, du ronronnement du chat, des berceuses de ma mère.
Jeune enfant, je regardais parfois dans la glace pour vérifier que mes oreilles n’avaient pas grandi, tant les sons qui s’y engouffraient me paraissaient profonds et puissants.
Plus tard, interdit de salon le soir, j’écoutais les films par l’entrebâillure de la porte, en haut de l’escalier de la maison familiale. À la fin, lorsque le générique apparaissait, je regardais. Je me disais qu’un jour, peut-être, mon nom pourrait apparaître dans cette liste — sans savoir comment on y arrive, ni même quels noms portent ces métiers.
Au lycée, j’apprends que travailler le son est un métier — mais « pas pour nous », me dit-on.
Dans le fracas de l’adolescence, pêle-mêle viennent se frotter mon piano (un cadeau de mon oncle), la techno de la maison des jeunes et les premiers enregistrements sur un Mini Disc reçu pour mon anniversaire. Un monde s’ouvre.
Après le bac, je pars plus loin, à Toulouse. Quelques courts métrages plus tard, j’ai mon BTS Son en poche et la certitude qu’il faudra continuer ailleurs encore.
Avec un ami cinéaste, Aurélien Vernhes Lermusiaux, nous montons à Paris. C’est avec lui que j’enregistrerai mon premier court métrage en 2000 et c’est avec lui que j’ai mixé un des derniers, pour Cannes 2025, La Couleuvre Noire.
C’est le début des années 2000, le début des forums internet et newsletters comme Cinéastes.org. Je réponds à beaucoup d’annonces, envoie cent CV, découvre les collectifs, les courts métrages pauvres tournés vite en DV. C’est excitant, mais je n’en vis pas : il me faut travailler à côté.
Un soir en 2003, un ami m’invite à une fête dans son école. À minuit, il me fait visiter le bâtiment de La Femis à la lampe torche.
Le lendemain, ce sont les portes ouvertes. Je retourne dans le Sud pour préparer mon dossier et, un an après, je suis sur la photo de classe.
Sorti de l’école, tout s’ouvre.
J’enchaîne les tournages, les montages, les mixages.
Je ne veux pas choisir — j’aime tout.
Je travaille sur plus de soixante courts métrages, souvent premiers films, souvent fragiles mais essentiels pour faire ses gammes, bien que difficile.
Je travaille avec Justine Triet, Fabien Gorgeart, Émilie Aussel, Nicolas Pariser, Virgil Vernier, Cyprien Vial, Anarita Zambrano, Aurélien Vernhes-Lermusiaux, Julien Guetta, et beaucoup d’autres qui sont de ma génération.
Les festivals arrivent. Les premières intermittences aussi — chèrement gagnées, vitales.
Puis les longs métrages.
Des films d’auteur, parfois fauchés, parfois ambitieux, les premiers contrats avec des salaires décents.
Je travaille avec Alain Guiraudie, Pascal Rabaté, Šarūnas Bartas, Léa Fehner, Cyprien Vial (le cinéma est encore malheureusement un métier d’hommes).
Je collabore avec des cinéastes qui deviennent des amis : Manon Ott, Céline Gailleurd & Olivier Bohler, Nael Marandin, Nora Philippe, Louise Narboni, Delphine Dhilly, Judith Abitbol. Je voyage aux quatre coins du monde avec des micros. J’enregistre des heures de sons seuls, qui constitueront plus tard ma banque de son. Je passe de studios en studios, j’apprends en regardant travailler les autres.
Ainsi, ma vie professionnelle se déploie, à un rythme de parfois dix films par an, en mêlant documentaires et fictions, avec des pas de côté vers la musique, l’enseignement, les films d’artistes (Laura Huertas, Kader Attia…), sur des projets plus ou moins riches, plus ou moins fragiles. Qu’importe. Ce qui compte, c’est d’être en mouvement, d’enregistrer, de monter et mixer, de coucher des sons sur Pro Tools (logiciel de son) pour continuer à faire vibrer les membranes des enceintes dans les salles de cinéma et les lieux de diffusion.
Quelques films notables ou la bande son me parait interressante à discuter :
• Mon tissu préféré de Gaya Jiji (Un Certain Regard – Cannes 2018), ou comment nous avons fait une bande son sensorielle avec un son direct horrible.
• Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin (57e Semaine de la Critique – Cannes 2018). Une histoire de montage son collectif mené à plusieurs mains.
• Natural Light de Dénes Nagy (Ours d’Argent – Berlinale 2021), une immersion dans la boue et le froid par le son.
Puis, plus récemment : Wahou ! de Bruno Podalydès (l’usage du son en comédie), Arrête avec tes mensonges d’Olivier Peyon, L’Arbre de la connaissance d’Eugène Green (l’épure de la mise en scène et la précision du son), et de nombreux autres.
Ma filmographie s’écrit au gré des rencontres, auprès d’un cinéma d’auteur difficile à financer et que je défends.
C’est aussi et surtout dans le film documentaire que je m’accomplis le plus : une forme différente pour chaque film, un terrain de jeu pour le son, loin des chemins balisés de la fiction, et proche des sciences humaines.
Quelques films documentaires que j’ai aimé accompagner au son :
• Coconut Head Generation d’Alain Kassanda (Grand Prix Cinéma du Réel 2023), la nécessité de faire surgir la parole.
• De Cendres et de Braises de Manon Ott et Gregory Cohen, un son documentaire dessiné comme en fiction
• Sept Hivers à Téhéran de Steffi Niederzoll (Grand Prix documentaire à Berlin, São Paulo…), avec la voix off bouleversante de Zar Amir Ebrahimi et un design sonore puissant.
• Green Line de Sylvie Ballyot (2024), donner vie par le son à des images d’archives muettes et d’animation
• Mes Fantômes Arméniens de Tamara Stepanyan (2025), travailler avec des images d’archives et faire continuité par la voix et le son.
…
Pendant tout ce temps, en parallèle, j’enregistre le monde humain et non humain :
les villes, les paysages, l’eau et le vent, les silences (ici un des enregistrements qui a gagné le prix Best Natural Sound 2022, pour vous donner une idée)
Le field recording est devenu une respiration parallèle, un journal intime du dehors.
Comme j’ai toujours voulu faire, j’aimerais aujourd’hui réduire les frontières de nos métiers : entre musique et Sound design, entre Sound design et ambiances sonores, mais aussi en cherchant du côté de la recherche création en sciences sociales. J’essaye de me glisser dans ces interstices.
À 44 ans, mon parcours est un fil tressé de rencontres et d’envies (cinéastes, producteurs et productrices, collègues du son). Un chemin construit avec beaucoup d’intuition, parfois confus, souvent joyeux, toujours sonore.
Du son avec des gens.
Du son pour des gens.