Imaginaire des réseaux – Réseaux de l’imaginaire

Imaginaire des réseaux – Réseaux de l’imaginaire

Le monde numérique et les réseaux sociaux sont rentrés dans la fiction comme ils le sont dans nos vies.

L’imaginaire des réseaux numériques occupe désormais une place déterminante dans la littérature contemporaine, qu’elle soit publiée sur papier, sur blog ou sur des plateformes sociales, s’incarnant dans des personnages-avatars, des profils fictionnels hétéro- ou homonymes, au sein de productions participatives et collectives ; la matérialité des réseaux, leur structure, et leur système de valeurs encodé dans les fonctionnalités, les métaphores qui accompagnent le numérique, façonnent le style, le contenu et – telle serait notre hypothèse – une partie du romanesque contemporain.

Ce sont les moments où l’imaginaire du réseau se fait littérature, mais aussi ceux où la littérature se positionne à l’encontre de l’imaginaire du réseau dans un jeu avec sa nature dispositive, que nous voudrions cerner et analyser lors de ce colloque.  Nous proposons donc d’organiser les travaux autour de deux grands axes. 

  1. Le roman dans les réseaux

La vie numérique est faite de promenades sur des réseaux sociaux variés, à travers des conduites de répétition souvent jugées addictives, mais qui ne sont pas sans romanesque : rêveries de gloire ou fantasme amoureux, projection bovaryste dans d’autres vies que la nôtre, exotisme et érotisme des figures et des situations, les composantes de nos errances sur les fils méritent d’être rapprochées et comparées aux expériences traditionnelles du roman. En incarnant des profils et en chroniquant des parcours de vie, en postant des stories et des reels, les utilisateurs du réseau proposent des surfaces de projection à leurs lecteurs, inventant des formes d’écritures bien spécifiques qu’il importe de décrire, tout comme la narrativité qui les accompagne.

Par ailleurs, les réseaux sociaux peuvent devenir de plains lieux de fiction. Les personnages-profils sur les plateformes sociales, qu’elles portent le nom de l’identité civile de leur auteur ou s’affichent comme des pseudo- ou hétéronymes, matérialisent le rêve d’une littérature mouvante, immédiatement réactive aux soubresauts de l’actualité quotidienne, que de nombreux auteurs avaient caressé au XXe siècle sans disposer d’un support propice à sa réalisation. Partageant des traits avec le personnage de roman, le profil de fiction prend la parole sur le réseau social et répond aux sollicitations de celui-ci, et de ses lecteurs ; animé en direct comme un personnage de théâtre, ses interactions avec le public ne sont pas limitées par une scène. Sa nature hybride et ambivalente, mi-humaine, mi-machinique, mérite d’être examinée dans ce colloque parce qu’elle nous semble faire partie intégrante d’un imaginaire contemporain à la fois gangrené et vivifié par le réseau.

  1. Les réseaux dans le roman

De très nombreux romans mettent en scène les réseaux sociaux numériques (404 de Sabri Louatah, Faux profil de Jérôme Dumoulin, Celle que vous croyez de Camille Laurens, La Théorie de l’information d’Aurélien Bellanger, La Toile de Sandra Lucbert, etc.) et les communications numériques sont scénarisées dans la plupart des romans contemporains mettant en scène les liaisons amoureuses, comme chez Maria Pourchet et Chloé Delaume notamment. Les problématiques d’emballement des réseaux deviennent eux aussi un thème romanesque, pensons par exemple au Voyant d’Etampes d’Abel Quentin. L’incorporation d’extraits fictionnels de ces réseaux, l’intérêt pour les rythmes et les modulations relationnelles propres aux communications en ligne, la fascination pour les formes de dissimulation et de manipulation qui peuvent caractériser les réseaux sociaux, l’analyse des séductions et fascinations numériques, dans leurs rapports à la réelle présence, nourrissent l’imaginaire des romanciers contemporains.

Les réseaux sociaux transforment la langue littéraire, mais aussi l’intrigue, les formes de secrets et de désir amoureux : loin d’appauvrir la peinture des relations amoureuses, le passage obligé par l’écrit dans les réseaux sociaux est de nature profondément littéraire. De nouvelles formes relationnelles, de nouvelles organisations des « réseaux » de personnages, mais aussi de nouveaux types d’énigmes et de suspense romanesques naissent à l’incorporation des échanges sur la toile, allant jusqu’à la tentation d’un roman qui mimerait des communications numériques en renouvelant les formes anciennes du roman épistolaire. Loin de se contenter de dénoncer le storytelling et la marchandisation de soi dans les espaces numériques, loin d’absorber le vocabulaire et de mimer les formes d’interactions des réseaux sociaux numériques, la littérature en fait un thème romanesque actif, ce qui mérite d’être décrit et observé.

Nous proposons pour ce colloque les axes de réflexion suivants, non exclusifs :

  • Représentations romanesques des univers numériques : les réseaux sont le lieu où s’inventent de nouvelles enquêtes romanesques et jeux de pistes, de nouvelles formes de correspondances et de secrets, mais aussi de nouvelles formes littéraires pour en représenter les rets et les trames. Au contact des réseaux, l’écriture littéraire contemporaine se transforme. Non seulement, elle raconte les expériences de rencontre, d’émerveillement, de dissimulation ou de harcèlement en ligne qui gangrènent nos vies numériques, elle cherche à leur donner une forme (Virginie Despentes), à restituer de nouvelles circulations par une poétique romanesque renouvelée (Camille Laurens). Sa langue, contaminée, phagocytée, mais aussi vivifiée par le parler-réseau (Emmanuelle Pireyre) joue avec le techno-signe (le hashtag, par exemple), elle parle minage et cryptomonnaie (Jean-Philippe Toussaint), voire se crypte (Alain Damasio) pour résister de l’intérieur de la langue à la standardisation de l’expression par le capitalisme linguistique et ses machines d’auto-complétion.
  • Connivences, contaminations, troubles et troublions : Loin de perpétuer l’enthousiasme parfois aveugle des premiers explorateurs littéraires des réseaux, les autrices et auteurs de la contemporanéité problématisent les connivences avec les industries du numérique. Se faisant didactique ou militante, l’écriture littéraire se laisse contaminer en pleine conscience des risques, pour faire la démonstration des engrenages numériques du sujet ; en s’assumant comme réseautée, elle se laisse également fertiliser par la créativité effrénée des fils, explore des métavers alternatifs, se fait troublion. Elle recadre les trolls (Olivier Mannoni), agrège les communautés, surjoue le trouble (La Torez) et, par là même, le soigne (La Rasbaille). C’est en tant que puissant moteur d’écriture que nous proposons, dans le cadre de ce colloque, de cartographier l’imaginaire des réseaux.
  • Contours narratifs et poétiques du personnage-profil: les « écritures profilaires » (Servanne Monjour/Marcello Vitali-Rosati) sont pléthore, et s’incarnent sur les réseaux sociaux dans des personnages dont les contours convergent plus ou moins avec l’identité civile de leur auteur. Le jeu avec le pseudo- et l’hétéronymat donne lieu à une redéfinition du « biographème » comme une conversation entre « Je et Je » (Jean-Pierre Balpe), à des temps de pause au milieu des clashs et trash quotidiens sur les fils. Comme jadis dans la Petite Presse où les poèmes Baudelaire côtoyaient les bas-fonds du fait divers, la poéticité des micro-récits postés par Anne Savelli sur Twitter, Juliette Cortese et Milène Tournier sur Facebook, ou alors les « petites extases » (Gustavo Gomez-Mejia, 2016) postées par des anonymes dans des lieux improbables comme Autoplus ou Jeuxvideo, se forgent à la fois au contact de l’écosystème du fil et proposent des contrepoints, des fugues, des lignes de fuite qu’il s’agira de de cerner comme des émanations littéraires du sujet contemporain (é)pris dans les réseaux.

Colloque : 12-13 novembre 2024

Calendrier

  • Date limite d’envoi des propositions : 30 mars 2024
  • Communication de l’évaluation des propositions par le comité scientifique : 1er avril 2024

Organisé par Alexandre Gefen et Alexandra Saemmer

Lieu : Maison de la Recherche Sorbonne Nouvelle

Partenaires :

  • UMR Thalim
  • ANR CulturIA
  • EUR ArTeC
  • EA CEMTI
  • EA FabLit

Comité d’organisation 

Alexandre Gefen

Beatrice Latini

Emmanuelle Lescouet

Adrien Péquignot

Alexandra Saemmer

Modalités de soumission

Nous vous remercions de présenter les propositions de communications de la manière suivante :

  • Un fichier contenant : le titre de la communication, une courte notice bio-bibliographique (500 signes maximum avec indication du nom, prénom et appartenance institutionnelle) et adresse de courrier électronique ;
  • Un fichier anonyme contenant : le titre de la communication, la proposition de communication de 3 000 signes maximum espaces compris, bibliographie non incluse ;

Et de les adresser à : alexandre.gefen@cnrs.fr et alexandra.saemmer@univ-paris8.fr