Une machine peut-elle incarner un personnage de théâtre ? Peut-on donner vie au Dom Juan de Molière ? L’intelligence artificielle peut-elle réaliser ce miracle ? En essayant d’y parvenir, les porteurs du projet ont aussi voulu la démystifier et en expliquer les rouages. Un chatbot est le résultat de compromis et de stratégies pour donner l’illusion d’une conversation humaine. LITTE_BOT se veut un chatbot ouvert, c’est-à-dire capable de mener une conversation en toute autonomie, à l’inverse des chatbots fermés reposant sur une base de questions-réponses.
L’équipe de Litte-bot a présenté le projet lors des Rencontres ArTeC 2021 à la Gaîté Lyrique
Pour un chatbot littéraire, les défis ont été nombreux, et les compromis aussi. L’idée est née de la rencontre entre Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle de la BnF et l’artiste Rocio Berenguer, qui proposait de concevoir un chatbot littéraire. Le quadricentenaire de Molière était l’occasion idéale. Ce choix a entraîné la nécessité de constituer une base de données uniquement composée de dialogues de théâtre, en français du XVIIème siècle. Cette base devait être assez importante pour entraîner les modèles d’apprentissage profond (Seq2Seq, puis GPT-2). Au cours des discussions, il a été décidé de choisir un personnage de Molière. Ce sera Dom Juan : d’après Georges Forestier, conseiller scientifique du projet, ce personnage a l’obsession de la rencontre : quoi de mieux pour un chatbot engageant ? Mais le texte de la pièce Dom Juan ou le Festin de Pierre n’était pas suffisant pour alimenter le chatbot. Il a fallu progressivement élargir le corpus, à tout le théâtre de Molière, puis au Dom Juan de trois auteurs contemporains — Rosimond, Dorimond et Villiers, puis encore à tout le théâtre classique (qu’un passionné, Paul Fièvre, a heureusement mis en ligne sous un format exploitable).
Les enseignants-chercheurs Anna Pappa (Laboratoire LIASD) et Samuel Szoniecky (Laboratoire Paragraphe) de Paris 8 ont conceptualisé les choix technologiques, développé la base de données, y compris grâce à un générateur automatique, et modélisé le chatbot. C’est le cabinet B12 Consulting qui a développé la version publique du chatbot présentée dans l’exposition. Léopold Frey, ingénieur de l’équipe de Rocio Berenguer, a mis la dernière main pour assembler toutes les briques et lui donner une voix de synthèse.
Il faut aussi mettre en scène le chatbot, comme on dirigerait un acteur. C’est le travail de Rocio Berenguer. La base de données a été indexée avec des intentions, pour donner l’illusion d’une intelligence artificielle capable de séduction et de métaphysique. Un chatbot fermé prend subrepticement la place du chatbot ouvert au cours de la conversation pour mener le visiteur à travers une séquence de séduction, de provocation et de fuite. Il laisse la place, pour finir, au chatbot ouvert, qui invite le visiteur à le réinterpréter pour le libérer de son destin tragique.
Entretien avec les différents intervenants du projet
Le Bot°phone est en accès libre jusqu’à 15 janvier – BnF Richelieu
Dans le cadre de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux